la révolution contre le chomage des jeunes en Afrique

Publié le par Africa Youth Employability

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              Que veulent les jeunes africains?

Les résultats d'une vaste enquête sur les 10-35 ans viennent d'être rendus publics. Ils tordent le cou à bien des idées reçues. De quoi nourrir la réflexion des politiques !

« Enfance, adolescence et jeunesse en Algérie » : tel est le titre d'un rapport de 203 pages rendu public au début du mois, à Alger. Plus qu'un pavé jeté dans la mare des sociologues et autres chercheurs, ce texte se veut un document de référence. Et un outil de travail pour tous les acteurs de la société. À commencer par Youssef Yakhlef, le président du comité de pilotage du projet. « Nous en avions vraiment besoin, affirme celui-ci, par ailleurs directeur de la promotion et de l'insertion des jeunes au ministère
de la Jeunesse et des Sports. Il nous fallait connaître les aspirations des jeunes pour mieux répondre à leurs attentes. Dans le cadre de la coopération bilatérale, nous avons fait appel à un expert français. » Chercheur en sociologie et en sciences politiques au
Centre national de la recherche scientifique (CNRS), à Paris, Tariq Ragi est mandaté, en 2001, par l'ambassade de France en Algérie. Objectif : sortir du cadre théorique pour aller sur le terrain, au cœur des pratiques des jeunes. « Des études avaient déjà été réalisées en 1983 et en 1993, commente Ragi. Au niveau de la forme, la volonté d'aller
vers les jeunes était louable, mais il y avait un réel problème de méthodologie. Le questionnement était influencé par l'air du temps. Le contexte et les objectifs étant aujourd'hui bien différents, il nous a fallu sortir de tout cadre idéologique, politique
ou cultuel. Nous avons associé à l'opération tous les acteurs du secteur de la jeunesse afin d'établir un diagnostic équilibré. »
Un questionnaire répondant aux standards internationaux a été mis au point. Les réponses ont été comparées à celles obtenues auprès des jeunes originaires d'Europe et des pays
du sud de la Méditerranée.
Interrogés sur les actions qu'il conviendrait de mener en leur faveur, 70 % des jeunes font de l'emploi leur priorité absolue. Durement éprouvés par le chômage (qui touche près d'un quart des personnes interrogées), les jeunes gens et, plus encore, les jeunes filles souhaitent un meilleur accès à l'emploi, sous toutes ses formes, y compris les emplois
aidés. « S'il n'y a pas de travail pour nous, regrette Kahena, 24 ans, au chômage à Alger, c'est aussi un problème d'éducation, surtout chez les garçons. Beaucoup ne savent même pas écrire leur nom et ne se cassent pas la tête pour trouver un travail. Si on leur
propose un job de serveur, ils préfèrent ne pas se fatiguer et rester à ne rien faire. » « Si, si, ils tiennent les murs, ironise Nesrine, 20 ans, étudiante en droit à Annaba. Et ils sont si nombreux à les tenir qu'ils vont finir par les faire s'effondrer ! »
« C'est une catastrophe, renchérit Nacera, professeur de français à la retraite. Les
jeunes d'aujourd'hui ne savent rien. » Ce que Boubekeur Benbouzid, le ministre de l'Éducation, confirme à sa manière. Selon lui, le système éducatif souffre « d'une déperdition scolaire de 23 %, d'une insuffisance des performances de ceux qui mettent un
terme à leurs études et d'une multiplication des besoins sociaux et individuels sur les plans politique, économique, culturel et technique ».
Conséquence logique, les écoles privées, pourtant illégales, se multiplient depuis plusieurs années. Il est de notoriété publique que la plupart des enfants de l'élite fréquentent ces établissements, quand ils ne vont pas étudier à l'étranger. Pendant ce temps-là, l'école publique traverse une grave crise dont témoignent les grèves récurrentes
des enseignants, qui appellent de leurs vœux une revalorisation du système scolaire. De même, la moitié des jeunes considèrent que l'investissement dans le secteur éducatif doit
être renforcé.
Si 80 % d'entre eux souhaitent poursuivre des études jusqu'à bac + 4, au minimum, plus d'un tiers estiment que l'université ne prépare pas bien à la vie professionnelle. « Les jeunes sont en pleine détresse, estime Sofiane, 28 ans, médecin interne dans la banlieue d'Alger. On n'exploite pas suffisamment leurs possibilités. Il faut améliorer la qualité de l'enseignement et la formation des enseignants. L'État doit organiser des stages pratiques, développer l'apprentissage. Quelque part, je plains ces jeunes. Pour moi, ce
sont des victimes. »
Autre aspiration largement partagée : vivre dans une société moins violente. Au premier rang des dangers auxquels ils sont exposés, les jeunes citent les accidents de la circulation, ce qui, à en croire les conclusions de l'enquête, « témoigne sans doute d'une
situation routière catastrophique, mais aussi de la réussite des campagnes de sensibilisation et d'information sur la sécurité ».
Vient ensuite le risque d'agression, ressenti par un jeune sur trois. Selon les personnes interrogées, cette violence est principalement due au chômage et à la précarité (61,5 %), à l'influence des jeux vidéo et de la télévision (30,5 %), au manque d'autorité des adultes (23,3 %) et aux discours extrémistes (16,5 %). « On vit dans une société plus violente, confirme Nesrine. J'ai d'ailleurs été agressée plusieurs fois. Il arrive fréquemment que des lycéens soient menacés avec des couteaux jusqu'à l'intérieur de leur établissement. La plupart des jeunes qui ne trouvent pas de travail se tournent vers le vol ou vers la drogue, c'est devenu un phénomène de mode. » « La vie est devenue plus difficile, confirme Azzou, 30 ans, technicien supérieur à Guelma, à 500 km à l'est d'Alger. Le risque d'agression est plus important parce que les jeunes ne travaillent pas. Et même quand ils travaillent, ils ne sont pas à l'aise. À cause du manque de
logements, ils habitent tous chez leurs parents. »
En dépit de la pénurie actuelle, le logement ne vient qu'en quatrième position des préoccupations des jeunes, juste avant les loisirs. « En général, ils passent la majeure partie de leur temps libre au domicile familial, note Tariq Ragi. La “culture de la
chambre”, du “chez soi” est très développée. Le foyer constitue le cadre essentiel des loisirs, qu'ils soient audiovisuels, livresques ou ludiques. »
La télévision est plébiscitée par 73 % des 10-35 ans. Un jeune sur quatre y consacre plus de vingt heures par semaine. « La télé, c'est une habitude, confie Hanane, une lycéenne de
17 ans. Je la regarde tous les jours, surtout les chaînes musicales et les chaînes françaises. » La plus regardée reste pourtant Algerian TV, accessible par le biais de la parabole, un équipement dont disposent les trois quarts des jeunes. Viennent ensuite TF1
(45,9 %) et M6 (42 %), loin devant l'ENTV, la seule chaîne hertzienne algérienne, surnommée « l'Unique » (35,5 %).
« Je suis surpris par ce résultat, commente Azzou. Moi, je regarde essentiellement les
chaînes étrangères. » Les algériennes ? « Leurs émissions sont nulles », tranche Kahena. Moins abrupte, Hanane concède qu'elle « ne déteste pas Algerian TV », mais estime que ses
émissions « ne sont pas de mon âge ». Conclusion de Nesrine : « Les chaînes algériennes n'ont pas évolué, elles ne sont pas du tout à la page. Les séries, par exemple, sont trop décalées. En fait, on ne les regarde que pendant le ramadan, parce que, pendant cette période, les programmes sont plus intéressants et qu'on a tendance à se rapprocher un
peu de la culture algérienne. »
À y regarder de près, on décèle sur ce point une différence entre garçons et filles. Après Algerian TV, les premiers préfèrent TF1 et M6, tandis que les secondes penchent pour les chaînes égyptiennes et MBC, la chaîne arabe de Londres. Bref, les garçons ont globalement un faible pour les programmes occidentaux et les filles pour les chaînes orientales.
Cette dichotomie se retrouve en matière musicale. Les garçons écoutent surtout du raï et, accessoirement, de la musique chaâbi (algéroise), cherqi (orientale) et du rap, alors que les filles préfèrent, dans l'ordre, le cherqi, le raï, le staïfi (région de Sétif), le
chaâbi et le rap. « Les résultats de l'enquête cassent un certain nombre d'idées reçues, analyse Tariq Ragi. On croit souvent que les filles sont davantage tournées vers l'Occident et que les garçons sont plus traditionalistes. C'est l'inverse qui est vrai. Pour les garçons, la société du dehors – la rue, l'étranger – prime dans la construction
de leur identité. Les filles, elles, passent plus de temps à la maison. Leur monde est davantage tourné vers l'intérieur. »
Au foyer, ces dernières regardent la télévision et écoutent de la musique, on l'a vu, mais elles sont aussi plus nombreuses que les garçons à s'y adonner à la lecture, même si, globalement, 70 % des jeunes – garçons et filles – lisent les journaux. En grandissant, les garçons ont en revanche tendance à délaisser le domicile familial pour partir à la conquête de l'espace extérieur : près de la moitié d'entre eux avouent « traîner » dans la rue plusieurs fois par semaine, sans objectif précis. Et lorsqu'ils s'en trouvent un, d'objectif, ils pratiquent un sport (le football, surtout) ou fréquentent les débits de boisson, une activité essentiellement masculine. À l'inverse, les cybercafés sont l'un des rares lieux publics réellement mixtes.
Cinémas et théâtres sont le domaine quasi exclusif des garçons. « On est mal vues quand on y va, explique Hanane. Tout de suite, les gens se font des idées. En plus, la plupart
des salles algéroises sont mal fréquentées, et mes parents ne me laissent pas y aller. » Quant aux musées, 80 % des jeunes n'y ont jamais mis les pieds. « Il n'y a qu'un seul musée à Guelma, et il est consacré à la guerre », assure Azzou. En revanche, il n'y a ni
théâtre ni cinéma. « On manque de distractions, ici. Il y a bien des maisons de jeunes, mais c'est pour les filles : on n'y propose que des activités comme la couture ou la cuisine. »
De toutes les structures dépendant de la Jeunesse et des Sports, les maisons de jeunes sont quand même les plus fréquentées (46,5 % d'adeptes). En revanche, les centres d'information et d'animation jeunesse (il n'en existe qu'un par wilaya) ne séduisent que 20 % des jeunes. Quant aux auberges de jeunesse, moins d'un jeune sur dix s'y est déjà rendu…
« Toutes ces données nous permettent d'apprécier si l'offre proposée répond ou non à la demande des jeunes, indique Youssef Yakhlef. En fonction des résultats, nous allons nous efforcer de développer des programmes qui correspondront mieux aux attentes. » Ces attentes ne sont pas si différentes de celles des jeunes Espagnols, Italiens ou Grecs. Comme eux, les Algériens sont victimes d'un chômage massif et doivent souvent être pris en charge par leur famille. « Cette “familialisation” des jeunes jusqu'à un âge avancé n'empêche pas leur autonomie, relève Tariq Ragi. La différence fondamentale tient à l'ampleur que prend le phénomène de ce côté-ci de la Méditerranée. Quand, en France, l'État lance une opération “un ordinateur pour 1 euro par jour”, la charge budgétaire est déjà importante. Alors, on imagine le coût de telles politiques en Algérie... » Plus
qu'ailleurs dans le Bassin méditerranéen, le poids démographique des 10-35 ans est ici gigantesque : ils représentent près des trois quarts de la population.


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